La pandémie à Coronavirus ébranle le monde depuis son apparition en chine en décembre 2019 et sa généralisation au niveau mondial à partir de février 2020.
L’Afrique, d’abord épargnée, a déclaré ses premiers cas en Février 2020.
Quoique loin de l’hécatombe annoncée ou craint par l’OMS qui s’attendait à plusieurs millions de morts dès la mi-avril, le nombre de cas sur le continent africain continue de croitre depuis lors.
Depuis le 22 mai 2020, l’Afrique a passé la barre de 100.000 cas et affiche au 6 juin 177 953 cas confirmés, 4 936 décès et 78 834 guéris (Centre africain de contrôle et de prévention des maladies – CDC Afrique[1]). A cette même date, les pays du réseau Inades-Formation comptaient officiellement 20 709 cas confirmées avec plus de 7.000 cas au Cameroun, plus de 3.000 cas en Côte d’Ivoire et en RD Congo, et plus de 2.000 cas au Kenya.[2]
Les dommages collatéraux de la maladie sont craints sur le continent notamment une paupérisation accrue de la population et une crise alimentaire pour ce continent déjà fragilisé par des conflits et mouvements de réfugiés, le dérèglement climatique, les crises économiques, la persistance d’autres maladies comme le paludisme, etc.
Plusieurs organisations de producteurs et de développement comme CCFD Terre Solidaire[3] et OXFAM[4] ont tiré la sonnette d’alarme. Le ROPPA a mis en place un comité de veille pour faire face aux crises qui affectent les Agricultures Familiales ouest-africaines et la crise systémique du COVID 19[5], et la FAO a produit diverses notes d’information et de directives pour un ensemble d’outils pour soutenir les analyses politiques et évaluer l’impact de la pandémie de COVID-19 sur l’alimentation et l’agriculture, les chaînes de valeur, les prix des produits alimentaires, la sécurité alimentaire dans le monde entier.[6].
Les effets de cette crise sanitaire sont indéniables sur l’économie mondiale mais aussi sur le niveau de vie des populations les plus vulnérables et la sécurité alimentaire.
Le risque d’une pénurie des produits alimentaires et des intrants agricoles dans les Etats africains
Dans cette économie mondialisée où la sécurité alimentaire repose sur les importations, il est aisé de percevoir les conséquences dramatiques que pourraient avoir la pandémie de la Covid 19 sur la sécurité alimentaire au niveau mondial et plus précisément sur les Etats Africains.
Malgré leur potentiel agricole, la plupart des pays africains dépendent des importations pour leur sécurité alimentaire. Pour exemple, dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest 40 % du riz consommé est importé, pour ne citer que cet exemple.
En 2017, la facture des importations alimentaires en Afrique s’élevait à 35 millions de dollars selon le président de la BAD et les prévisions faisaient état d’une hausse encore des importations pour les années suivantes.
Or, avec l’avènement de cette crise qui justement a débuté en Asie, les états ont pris des mesures de sécurité parmi lesquelles se trouve en première position la fermeture des frontières aériennes, terrestres et maritimes. Toute chose qui a eu pour conséquence de baisser les importations. De plus, si les pays exportateurs de céréales et de denrées alimentaires de première nécessité, également touchés par la pandémie, cessaient brusquement de produire, tous les pays dépendant des importations se trouveraient dans l’incapacité de nourrir leur population.
Quoique les stocks alimentaires disponibles au niveau mondial permettent de couvrir la demande jusqu’aux prochaines récoltes, une persistance de la maladie et le maintien des mesures de protection pourraient compromettre la disponibilité ou l’accessibilité de tous à ces stocks et empêcher leur reconstitution. Ce qui entraînerait une pénurie alimentaire pour les populations qui en dépendent.
Par ailleurs, Les producteurs accompagnés par Inades-Formation dans divers pays ont manifesté leurs inquiétudes quant à la disponibilité des semences et autres intrants agricoles pour les futures saisons culturales déjà proches, parce l’agriculture dans ces pays est en grande partie tributaire de ces intrants agricoles importés.
Comment alors garantir les prochaines récoltes, s’il n’y a ni semences disponibles, ni engrais dont l’usage abusif a dégradé la fertilité des sols, créant un cercle vicieux ?
La réflexion devient alors indispensable sur les systèmes alimentaires en Afrique.
Une baisse des revenus des agriculteurs et des Etats
Très peu de produits agricoles sont transformés sur place en Afrique. Plus grave, la plupart des Etats et plus particulièrement ceux de l’Afrique de l’ouest ont une agriculture axée sur les monocultures de rente et destinées à l’exportation.
Le risque de voir la demande au niveau des pays destinataires de ces produits baisser avec la crise de la Covid 19 n’est pas bien loin. Les économies africaines s’en trouveraient ébranlées du fait de la perte des ressources devant leur permettre de garantir les importations en masse des produits alimentaires essentiels. Le financement des prochaines campagnes agricoles sera de même problématique. Ce qui bien sûr agira sur les revenus des agriculteurs.
Le difficile écoulement des denrées alimentaire disponibles : la rupture des chaines d’approvisionnement locaux
Pour circonscrire la propagation de la maladie à l‘intérieur des pays, les Etats Africains ont vite fait de prendre des mesures sécuritaires limitant les mouvements. Certains, bien plus que d’autres, ont pris des mesures drastiques pour des périodes plus ou moins variables selon les pays : couvre-feu, fermeture des marchés, fermetures des commerces et des écoles, isolement et mise en quarantaine des villes les plus affectées, etc.
Compte tenu de la restriction des mouvements, les producteurs principalement ceux qui produisent les denrées alimentaires périssables ont trouvé moins d’acheteurs et rencontrés des difficultés d’écoulement de leurs produits. Seuls quelques rares acheteurs arrivent jusqu’aux producteurs pour racheter leur marchandise.
Il était également difficile de convoyer les denrées produites des campagnes vers les marchés du fait du manque de véhicule de transport de marchandise et la fermeture des marchés occasionnant une augmentation des coûts du transport et par ricochet des denrées alimentaires en zones urbaines et le pourrissement des denrées ne pouvant être écoulées.
Tout cela entraîne une baisse des revenus des producteurs et pourrait empiéter sur leurs capacités à financer les prochaines récoltes.
Bâtir des systèmes alimentaires durables pour atteindre une souveraineté alimentaire réelle en Afrique
Cette pandémie à Covid 19 et ses effets collatéraux sur la sécurité alimentaire a montré les limites des systèmes alimentaires conventionnel et donc l’impérieuse nécessité pour les Etats et particulièrement, les Etats africains de développer des systèmes alimentaires durables, tels les systèmes basés sur l’agriculture familiale.
Des systèmes fondés sur le développement d’une alimentation reposant sur les vivres de souveraineté (vivres locaux), le développement des semences paysannes reproductibles basées sur des savoirs locaux, le développement des chaines de valeur durables et des circuits courts de distribution.
C’est tout le sens du combat d’Inades-Formation qui, depuis 2013, a pris fermement position en faveur de la souveraineté alimentaire des peuples. Son engagement à promouvoir dans tous les Etats en Afrique, les systèmes alimentaires basés sur l’agriculture familiale impliquant la promotion des vivres de souveraineté en est le concrétise.
Les moments de crise étant également des occasions pour tirer des leçons et prendre des engagements, Il est crucial que les Etats Africains investissent dans des systèmes agricoles et alimentaires durables avec comme fil conducteur les pratiques et politiques de souveraineté alimentaire en :
- Soutenant l’accompagnement le dispositif de Conseil à l’exploitation familiale agricole pour nourrir les villes et campagnes,
- Encourageant la diversification des cultures de souveraineté alimentaire, l’agroécologie et les systèmes de résilience face au changement climatique,
- Soutenant le développement de semences locales et en constituant des banques de semences dans les différentes localités ;
- Renforçant les infrastructures, les circuits de transports et distribution des produits agricoles des villages vers les villes avec des mesures incitatives du marché local ;
- Développant les infrastructures de stockage et de transformation au niveau local pour créer de l’emploi
- Renforçant et rapprochant les offres de mécanisations des activités de production, surtout dans les grands centres de production du pays ;
- Attribuant des financements conséquents à l’agriculture et plus particulièrement au secteur du vivrier et maraîchers y compris la chaîne de valeur ajoutée ;
- Soutenant l’insertion et la professionnalisation des femmes et des jeunes dans les maillons de chaîne agricole et alimentaire
Ce serait des solutions durables au-delà de la pandémie de la Covid 19 dont la fin reste encore incertaine malgré la levée progressive des mesures barrières dans plusieurs pays.
Inades-Formation
[1] https://africacdc.org/covid-19/
[2] https://www.jeuneafrique.com/910230/societe/coronavirus-en-afrique-une-carte-pour-suivre-au-jour-le-jour-lavancee-de-lepidemie/
[3]La pandémie de coronavirus amplifie la crise alimentaire au Sud- https://ccfd-terresolidaire.org/actualites/la-pandemie-de-6616
[4] Covid-19 : 50 millions de personnes menacées par la faim en Afrique de l’Ouest – https://www.oxfam.org/fr/communiques-presse/covid-19-50-millions-de-personnes-menacees-par-la-faim-en-afrique-de-louest
[5] https://www.roppa-afrique.org/IMG/pdf/roppa-a5-160420-1.pdf