A l’occasion du 17 avril 2016, journée internationale des lutte paysannes, M. Jean-Paul Sikeli, secretaire exécutif de la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (COPAGEN) nous met en garde contre les OGM, une menace de plus en plus pesante sur les Etats africains.
L’Afrique dans la ligne de mire des puissants lobbies de l’agrobusiness
Depuis plus d’une décennie, les lobbies de l’agro-industrie tentent d’imposer les OGM [1] à l’Afrique. Les efforts déployés par ces derniers pour introduire les cultures génétiquement modifiées dans l’agriculture et l’alimentation africaines ne faiblissent pas. On assiste de plus en plus à la structuration de réseaux et d’organisations à la solde de firmes biotechnologiques telles que Monsanto, qui ont décidé de multiplier les offensives en faveur de cette technologie agricole.
En effet, chaque année, l’ISAAA (The International Service for the Acquisition of Agri-Biotech Applications) produit un rapport annuel sur la situation des OGM dans le monde. Cette initiative ne vise qu’un objectif, celui de faire la promotion des cultures transgéniques en Afrique et dans le monde.
Le plus souvent, c’est sous le couvert d’un discours faussement drapé d’humanisme que les promoteurs des OGM arrivent à faire accepter leurs produits. Sous des arguties spécieuses, comme l’éradication de la faim et de la pauvreté, certaines multinationales et leurs bras séculiers, font miroiter le développement économique des petits agriculteurs, l’emploi pour la jeunesse…
Pourtant, ce discours séducteur cache mal les pressions que subissent certains Etats africains pour ouvrir leurs portes aux OGM. En général, ces derniers se servent de leur considérable pouvoir pour persuader les gouvernements africains de mettre en place des politiques et des mécanismes qui garantiront un fonctionnement sans heurts de l’agrobusiness. Ce sont d’ailleurs ces officines qui tirent les ficelles dans le vaste mouvement de reconfiguration des politiques et règlementations foncières et semencières auquel nous assistons aujourd’hui en Afrique [2].
Des initiatives telles que l’AGRA [3] , la NASAN [4] …. ne sont rien d’autres que des cadres structurels par lequel les multinationales cherchent à pénétrer l’Afrique pour étendre leur marché de semences, d’engrais chimiques, de fertilisant…
Si jusque-là, l’Afrique du Sud était le seul pays africain où les cultures génétiquement modifiées sont officiellement commercialisées, certains Etats africains semblent avoir été contaminés par le virus transgénique. Dans au moins une douzaine de pays, des recherches sont actuellement menées [5] . On assiste dans le même temps à une extension des expérimentations biotechnologiques à d’autres cultures et à des animaux [6].
Les OGM d’échec en échec
En Inde, l’échec du coton transgénique qui s’est accompagné d’une vague de suicides de paysans et les revers essuyé par les multinationales dans les litiges les opposant aux communautés au sujet du brevetage de variétés locales, a considérablement réduit leur influence dans la zone. Elles (les multinationales) se sont donc rabattues sur l’Afrique, qui en raison de la faiblesse des mécanismes de gouvernance, se prête comme un terreau fertile pour les expérimentations transgéniques et comme un marché potentiellement juteux.
Le continent noir dont l’économie et la survie des populations reposent essentiellement sur l’agriculture coure des risques incalculables avec l’avènement des OGM.
Dans la région ouest africaine, le Burkina Faso est le premier pays à avoir accepté les OGM sur son sol, avec la culture du coton Bt. Ce pays constitue pour ainsi dire un laboratoire pour l’expérimentation des OGM en Afrique.
L’expérimentation du Coton Bt s’y est révélé être un cuisant échec, désabusant les paysans. Aucune des promesses annoncées n’a été tenue, ni en terme de quantité, les rendements ayant été faibles, ni en terme de qualité, la fibre étant plus courte. Les paysans burkinabè qui se sont engagés sur cette voie à l’issue incertaine, paient cher la note salée, avec une semence de coton Bt 18 fois supérieure au coton conventionnel. Cette débâcle a obligé le pays à abandonner la fausse route, en rebroussant chemin pour revenir sur ses pas, avec les spéculations classiques.
L’Afrique exposée à d’énormes risques
Au-delà de ces échecs, la plus grande inconnue reste les risques écologiques dont on n’ignore encore la nature et l’étendue. Il faut craindre le pire quand on sait que les dommages écologiques sont graves et irréversibles.
A ce sujet, lors d’une enquête sur le coton Bt au Burkina, des paysans ont témoigné avoir remarqué des choses inhabituelles dans leurs champs. En effet, habituellement, après les récoltes, les termites s’attaquent généralement aux tiges sèches des cotonniers. Dans le cas du coton Bt, ces tiges repoussent les termites. Il en est de même pour les animaux d’élevage tels que les bœufs qui ne sont pas du tout attirés par les tiges du cotonnier Bt, à la différence du cotonnier conventionnel. C’est donc un manque à gagner pour les éleveurs qui devront trouver des substituts au risque de perdre leurs bêtes, faute d’aliments.
On imagine aussi difficilement que la consommation de l’huile de coton par l’homme ne puisse pas avoir de répercussions négatives sur sa santé, quand on sait que la technologie elle-même est sujette à questionnement. Dans le cas spécifique du coton Bt, il s’agit d’introduire une bactérie le Bacillus Thuringiensis dans le cotonnier. Or, il n’est pas exagéré d’avancer que cette bactérie, prétendument inoffensive dans son milieu naturel, peut subir des mutations dans un milieu réceptif tel que le cotonnier et être impropre à la consommation humaine. Les risques sanitaires sont donc élevés et restent la plus grande inconnue dans cette délicate équation. Qu’adviendra-t-il de tous ceux qui ont consommé cette huile, dans dix ou quinze ans ? Personne ne peut le dire avec exactitude.
Devant le constat d’échec du coton Bt, les responsables de la recherche agronomique du Burkina en accord avec les responsables de Monsanto ont décidé dans un premier temps de trouver un palliatif pour relancer le coton Bt en recourant à une solution tout aussi dangereuse : l’apport du glyphosate. Or, ce produit a été jugé de « probablement cancérogène pour l’être humain » par l’OMS. C’est dire, jusqu’où les promoteurs des OGM sont capables de pousser leur logique mue par des intérêts exclusivement mercantiles .
Le Burkina ne doit son salut qu’à la détermination de la société civile qui a fait reculer les firmes biotechnologiques, sous la pression de la plume, des ondes et de la rue. Ces firmes, qui lorgnent actuellement du côté de la Côte d’Ivoire et du Nigeria, veulent liquéfier ou liquider le capital productif agricole des pays africains en imposant des agropoles, à travers un système qui rame à contrecourant de la souveraineté alimentaire. Ce système capitaliste dont les OGM constituent une pièce maîtresse, pâtit du paysage hideux de la mondialisation avec son corollaire d’injustices, de violation des droits des communautés et de déni d’accès des plus pauvres au « statut privilégié d’homme ».
Alors pourquoi prendre tant de risques pour une technologie qui ne profite qu’aux multinationales ?
Jean-Paul SIKELI, Secrétaire Exécutif de la COPAGEN